Ouvrir la discussion autour des nouvelles pratiques de médiation :
Le 10 Novembre 2017, l’équipe de Pop Up (une organisation culturelle à but non lucratif basée à Peterborough au Royaume-Uni) réunissait des professionnels de l’éducation et de la médiation culturelle pour réfléchir à des approches créatives pour amener les enfants à la lecture. Quel peut être le rôle de la narration visuelle dans ce processus pédagogique ?
Une domination pédagogique supposée du texte sur l’image :
Parfois l’image vaut plus que les mots. Formateurs, enseignants, animateurs, tous connaissent l’importance de la dimension visuelle dans l’impact que peut avoir un message auprès des apprenants. Pourtant, la domination du texte par rapport à l’image, dans le processus pédagogique, est installée et reconnue depuis de nombreuses années. Pour mieux explorer ce déséquilibre et interroger sa légitimité, les organisateurs du Pop Up festival ont choisi de partir d’un postulat volontairement provocateur : « la narration visuelle est indispensable à l’apprentissage de la littérature ».
Dylan Calder, directeur de Pop Up et organisateur du festival, contextualise ce choix. « La narration via l’image est la forme de lecture et d’écriture la plus inclusive. C’est à la fois complexe et accessible, les enfants de tous les niveaux peuvent lire et raconter des histoires visuelles ». Pour lui, les histoires visuelles sont une manière de créer des séquences narratives sous la forme d’images. Une seule d’entre elles peut contenir des histoires complètes.
Une des questions principalement abordée au cours de cette journée est celle de la place de la bande dessinée à l’école. Pour Dylan Calder elle est encore trop souvent considérée, en milieu scolaire, comme une sous-culture. Pourtant les bandes-dessinés peuvent très bien être des œuvres complexes et exigeantes. C’est un support qui permet de dérouler et d’étendre un récit pour le déconstruire. Il est un laboratoire idéal pour étudier les différentes étapes du récit, comprendre comment on peut raconter une histoire tout en réinventant la structure narrative classique (intro, développement, conclusion). Au delà de l’aspect visuel, la bande-dessinée est également un exercice d’écriture, et ne peut en aucun cas être considérée comme une sous-forme de littérature.
L’image comme vecteur de transmission :
Laisser de la place à l’image ? Cette idée est au centre de la création du best-seller « Alpha : Abidjan – Gare du Nord » par Bessora et Barroux. La scénariste du projet présente, pour cette première édition du Pop-Up Lab, a déroulé le fil de l’histoire de la naissance de ce livre illustré. Pour elle il est important « de laisser des respirations dans un texte, il faut donner à l’illustrateur la possibilité de s’exprimer ». Il lui semblait important de livrer complétement son histoire à l’imagination de Barroux, son illustrateur. Ils ont présenté le livre dans de nombreux pays, ce qui leur a donné la possibilité de faire l’expérience de la compréhension par l’image. Certaines idées, certaines émotions présentes dans le livre sont tellement universelles que même exprimées uniquement sous la forme d’images elles restent perceptibles pour toutes les cultures.
Asa Alfasi complète ce point de vue : depuis quelques années, la jeune autrice anglo-libyenne travaille avec l’organisme Positive Negatives. L’association utilise des bandes dessinées pédagogiques, inspirées de témoignages réels pour explorer un éventail de problématiques internationales, géopolitiques et sociales. Le choix de ce média s’explique par la capacité de la bande dessinée, à exprimer l’extrême gravité de certaines situations tout en préservant les enfants du caractère choquant qu’elles peuvent recouvrir.
Pour Delaram Ghanimifard, la bande dessinée est un excellent moyen de communiquer une esthétique culturelle. Lui même a découvert le mode de vie anglo-saxon à travers les comics qu’il lisait lorsqu’il était plus jeune. A travers son travail avec Tiny Owl, une maison d’édition spécialisée dans la publication d’auteurs iraniens au Royaume-Uni, il essaye d’initier via l’image les jeunes lecteurs anglais à découvrir différentes cultures.
Réinventer le rapport à la narration visuelle à l’école :
Il existe autant de possibilité d’incorporer de l’image dans un processus pédagogique qu’il y a d’enseignants. Pour faciliter leur travail il est nécessaire de surmonter les barrières classiques qui sont le manque de temps, de moyens et l’absence d’accompagnement. Face à un programme académique très lourd et l’incompréhension de certains de leurs collègues, beaucoup d’enseignants ne se sentent pas la force de s’aventurer dans des pratiques pédagogiques plus créatives. De nombreux professeurs et parents n’ont pas suffisamment confiance en leur capacité à assurer un enseignement artistique et de fait, beaucoup rechignent à se positionner en défenseurs de l’éducation par l’image. C’est sur ce point que les différents professionnels de la littérature jeunesse peuvent avoir une influence. Dessiner n’est pas qu’une question d’esthétique c’est tout d’abord une question de communication. Au delà du dessin en lui même, c’est le message qu’il porte qui est important.
L’équipe de Pop Up souhaitait réunir enseignants, médiateurs culturels et professionnels de la littérature jeunesse autour d’une même table afin de discuter ensemble des moyens de revaloriser la place de l’enseignement par l’image à l’école. Dans cette optique il est intéressant de faire venir des auteurs et des illustrateurs dans les classes pour montrer aux élèves mais aussi aux professeurs comment l’écriture et les processus de narration visuelle se mettent en place. Concernant les ressources, il est nécessaire de mettre à la disposition des élèves des livres illustrés de qualité, de tous horizons, pour inspirer et développer l’imaginaire des enfants. Ces initiatives peuvent paraître basiques mais elles sont indispensables pour nourrir l’envie des élèves et les aider à dépasser l’inhibition qui les empêche parfois de développer leurs capacités artistiques.
Pour sa première édition, le Pop Up Lab a globalement été une réussite. Alors qu’il reste très difficile d’aborder la question des pratiques pédagogiques créatives en Angleterre, l’événement a été très bien reçu par les participants. Ainsi, 94% d’entre eux ont répondu qu’ils avaient appris quelque chose au cours des différentes séances. Mieux, 100% des enseignants présents affirment qu’ils réutiliseront une ou plusieurs des méthodes évoquées au cours de cette journée avec leurs élèves. A l’issue de la journée, un manifeste reprenant une dizaine d’axes de réflexion a été rédigé. Il doit servir de fondation au développement d’une vraie philosophie pédagogique valorisant l’enseignement de la narration visuelle à l’école.