Séminaire : la migration dans la littérature jeunesse
L’enjeu du séminaire, qui a convoqué des points de vue différents et complémentaires, était d’interroger des auteurs-illustrateurs, des universitaires, des médiateurs du livre et des éditeurs sur les questions de la migration, sujet au cœur de l’actualité. Comment les auteurs-illustrateurs de fiction s’approprient-ils le réel, les enjeux géopolitiques, sociaux et culturels et comment les traduisent-ils en œuvres littéraires ? De quelle manière la littérature jeunesse permet aux enfants de comprendre les phénomènes migratoires et le dialogue entre les cultures ? En quoi les innovations numériques facilitent-elles le partage de celles-ci ?
La littérature, une médiation entre plusieurs cultures
L’Europe est depuis son origine un continent de migration et Ottmar Ette rappelle d’ailleurs que son mythe fondateur est l’histoire d’une déportation, celle opérée par Zeus métamorphosé en taureau blanc, séduisant et enlevant Europe. Aussi, les mythes et la littérature n’ont pas attendu les récentes vagues migratoires pour en saisir la complexité.
La littérature, tout comme la culture européenne, a été nourrie par les phénomènes migratoires et c’est bien la littérature, d’après Ottmar Ette, qui en retour témoigne le mieux du mouvement des peuples, du passage d’un monde à l’autre et des nécessaires compromis, influences, adaptations entre cultures. La littérature se présente comme un laboratoire pour concevoir la mondialisation, non pas réduite à un processus exclusivement économique, mais qui englobe les échanges culturels et sociaux.
C’est dans ce sens que Ottmar Ette cite Amin Maalouf, auteur de Dérèglement du monde. Originaire du Liban et vivant en France, l’essayiste incarne parfaitement ce personnage de passeur. D’ailleurs, les migrants détiennent aussi selon lui le rôle de médiateurs entre les cultures ; un rôle également dévolu à la littérature et à la littérature jeunesse.
LA MIGRATION RACONTÉE PAR LA LITTÉRATURE JEUNESSE

3 œuvres de littérature jeunesse étaient présentées lors du séminaire. Christiane Burkhardt, traductrice de l’auteur italien Fabio Geda, raconte la genèse et le succès du livre Dans la mer il y a des crocodiles, l’histoire vraie de Enaiatollah, un garçon de 10 ans qui fuit le Pakistan et arrive en Italie après un périple de 8 ans. L’auteure Mehrnousch Zaeri-Esfahani a également présenté ses ouvrages. Avec ses parents, elle a fui l’Iran pour s’installer en Allemagne. Elle a ensuite travaillé auprès des migrants, puis s’est tournée vers l’écriture pour raconter son histoire et celles des réfugiés. Enfin, Claude K. Dubois a écrit et illustré Akim court, l’histoire de la fuite d’un garçon terrorisé par les combats qui sévissent dans son village.
Trois approches différentes pour raconter aux enfants un même traumatisme, celui de l’exil. Fabio Geda imite le style de Enaiatollah, contant ses tragiques aventures rocambolesques, tandis que Claude K. Dubois associe un texte neutre et factuel avec des dessins au crayon, exprimant la souffrance et l’angoisse des personnages. Dans le cas de l’album, l’image ne fait pas qu’illustrer le texte, elle vient exprimer ce que le texte ne parvient pas à dire.
L’image est un langage universel, qui dépasse les mots et les frontières. Dans ce sens, Soenke Zehle a présenté une série de romans graphiques traitant de la migration et du croisement des cultures, dont Les Mains invisibles du Finlandais Ville Tietäväinen. Passionné par les phénomènes sociaux, l’auteur-illustrateur a fait un véritable travail d’investigation sur l’immigration clandestine pour écrire cet ouvrage, une histoire quasi documentaire, une étude sociale fine, où la fiction devient plus forte que la réalité. C’est la force du roman graphique et de l’image : exprimer l’inexprimable et donner la parole à ceux qui n’y sont habituellement pas invités.
L’importance de la médiation

La fascination qu’exercent les images et les mots de la littérature jeunesse sur les enfants permet de les amener à réfléchir à des sujets difficiles et complexes, tels que la migration. Akim court a été utilisé comme support de médiation en France et en Allemagne par Amnesty International dans les camps de réfugiés. L’exemple des dispositifs de médiation d’Art Basics for Children (ABC), présenté par son fondateur Gerhard Jäger, est tout aussi probant auprès d’enfants issus de l’immigration. L’un des dispositifs utilisés par ABC est le Kamishibai, un genre narratif d’origine japonaise, où le conteur d’histoire fait défiler des images dans un petit théâtre de bois. C’est l’oralité et l’image qui fascinent l’enfant, une invitation puissante au rêve et à la réflexion, qui permet paradoxalement une réappropriation du réel.
PARTAGE DES POINTS DE VUE, LE RÔLE DE L’ÉDITION
L’édition et l’éditeur ont évidemment un rôle décisif dans le dialogue entre les cultures, à l’image de Fayçal Hamouda. Né en Tunisie, il s’installe à Leipzig (Allemagne) pour fonder les éditions Hamouda. Spécialisée dans la littérature, l’histoire culturelle et les humanités, cette maison d’édition donne tout naturellement une place importante à des ouvrages qui interrogent le dialogue entre les cultures.
On entrevoit également ce que l’édition numérique peut apporter : donner plus facilement la parole à ceux qui y sont rarement invités et ouvrir le dialogue entre les cultures. Les travaux de l’éditrice Christiane Frohmann sont exemplaires. Elle a notamment lancé le projet #1000Tode : à partir des réseaux sociaux, Christiane a récolté et publié sous format e-book mille histoires autour de la mort, écrites par des volontaires qui souhaitaient partager leur expérience sur ce sujet. Le numérique permet une écriture participative et une immédiateté impossible dans l’édition traditionnelle. La thématique est enrichie par la multiplication des points de vue et la verticalité traditionnelle de l’information est brisée pour laisser place à un partage horizontal des expériences.